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Chroniques de l'autoroute A2809.
16 septembre 2008

II.

Funeral_aesthetics___by_Sirxlem

 

Nebula:

"J’ai fermé le battant de la porte avec mes deux paumes. La cage d’escalier est éclairée d’une lumière jaune un étage plus haut, je ne vois pas devant moi mais qu’aurais-je à voir, je le connais par cœur ce palier glauque, avec la moquette jaune, imbibée de cendres à force d’en trimbaler dans mes mains jointes, le soir, parfois. La porte d’en face elle était close, comme toujours, avec sa petite étiquette jaunie et son Judas poussiéreux.

A force de rester debout contre cette porte j’ai failli m’endormir. Aujourd’hui j’ai pas dormi, hier non plus. Alors je suis descendue, les marches étaient silencieuses et moi je respirais la poussière..


Dehors, le trottoir est parsemé d'allumettes macchabées.


Cette nuit je vais aller marcher sur la mer, un peu plus loin au bord de la ville & je penserais à plein de petites conneries. J’aurais pas peur du vide, ni du vent. Mes pieds nus claquent contre le macadam, quand on marche vite le choc des talons se répercute dans les oreilles, le tempo rapide de la démarche qui bat les tympans. Je marche le long du trottoir, parfois ma cheville se tord et alors je dois m’arrêter, je m’assois sur les marches devant la porte d’une maison de petit vieux, avec la porte en bois et la dentelle, puis des meubles aux motifs régionaux dessus, et puis des fleurs et des vases autour, enfin vous voyez le truc. Je masse mon pied nu et des gens passent sans me voir. J’ai l’air d’un gamin de treize ans, avec mes longues jambes et puis mon visage tout plat, et mes seins qui n’existent pas. Ils ne me voient pas, pourtant, selon les règles morales qu’ils se sont établies et que nul n'est censé ignorer, un gamin de treize ans ne traîne pas dans la rue la nuit. C’est inconcevable parce que ça ferait crado.


Moi je ne me rappelle plus ce que je faisais à treize ans, sans doute que je traînais ma carcasse dans les rues avec des grenades dans les poches.


Les rues du quartier sont toujours désertes, il n’y a que moi de vivant sans doute. Il faut aller beaucoup plus loin pour voir des silhouettes autres que celles des prospectus qui volent, et encore plus loin on peut voir la foule. Moi je préfère quand c’est vide que ça résonne quand on pousse un cri. Des fois je pousse des cris oui, pour rien comme ça ça m’amuse et ça me réveille. Je trace au hasard dans les rues ça m’amuse oui. Je réfléchis beaucoup à des choses qui doivent bien porter un nom mais que j’ignore, moi j’appellerais ça des conceptions personnelles de. De. L'horticulture, du don d'organes, des TV-Shows, de la réincarnation, du pape, des mômes, du capitalisme,  de Sartre, Beckett, Stevenson, Kennedy n’importe quoi des conceptions quoi. Un avis voilà. Un avis un truc comme ça, le genre de chose que tout le monde a.

 

Voilà, les rues sont toutes droites vers la mer, au final c’est toujours là bas que j’échoue. J’ai les cheveux dans la bouche, à cause du vent. Mes pieds marchent de travers, je marche sur un morceau de verre alors je saigne, alors je marche sur un pied vers l’eau et je trempe ma chair dans la mer, ça brûle. Ce morceau de verre, je marche souvent dessus, je pourrais me baisser, le ramasser puis le jeter dans la mer, ou bien faire des ricochets. Mais je le retire de mon pied, la plaie saigne sur le tesson où mon vieux sang à coagulé et puis je le lance dans le coin à la ronde et puis je cours vers l’eau, et puis voilà.


La nuit, on voit pas la différence entre la mer et le ciel, on ne voit que l’espace, béant et obscur.


J’enlève mon grand tee shirt et je le dépose quelque part, et puis je plonge dans l’eau. Je bois l’eau salée, et puis je pisse dans l’eau pour la réchauffer, je lance l’eau avec mes bras, je fais la fais ruisseler les sur mon front, puis je gobe une goutte qui perle sur mon nez. Je ris toute seule. Je fais tellement de choses toute seule, c’est pour que mon oxygène ne soit pas saturé, par le leur, avec leurs bulles de mots qui veulent rien dire, qui ne surprennent personne. Tu croise une personne dans la rue, tu sais qu’elle va te dire, « Salut, ça va » ou bien des équivalents propres à sa conception du langage, puis ensuite elle te parlera d’elle. On sait tout d’avance sur eux. Pour eux, c’est ça être « sympathique », c’est concorder à cette idée qu’on a de la sympathie, être bien programmé, poli, savant, et puis tu fais le beau et si tu es riche c’est encore mieux. Voilà l’amitié. Moi je me fais des amis un soir et je ne les revois plus jamais après. C’est contre nature.


Il se met à pleuvoir, alors moi j’inspire, et je me cache sous l’eau. Je peux rester longtemps en apnée.

Il pleut longtemps, et moi je reste sous l’eau, j’ouvre les yeux mais je ne vois rien puisque l’eau est aussi noire que le ciel, le ciel aussi noir que l’eau, et moi au milieu avec mes yeux ouverts, j’y peux rien. Alors je rigole. C’est très habile. Sous l’eau, mon rire fait des bulles, je les sens qui frôlent mon cou. Je tiens toujours. Mes yeux me brûlaient, avant, et puis maintenant plus. La nature a fait quelque chose de très pratique, il suffit d’habituer son organisme a certains phénomènes, après, c’en sera fini. Vous savez, la douleur et les conneries du genre. Je ne ressens pas la douleur. Je ne ressens pas la solitude non plus.


J’entends plus la pluie, je me soulève, d’un coup, sur mes pieds. Je ruissèle brusquement, je sors de l’eau a grands pas, ces grands pas lents qu’on fait dans l’eau parce qu’on ne peut pas courir. Je rejoins le sable et puis je me rends compte que j’ai oublié de me remettre à respirer. J’insuffle, j’avoue que c’est frais et limpide, l’air, et puis ça a un goût extraordinaire c’est peut-être ça le meilleur dans tout mon petit manège là.

Sur le sable je remets mon tee shirt et je remonte sur la digue, en escaladant les rochers de mes ongles qui se cassent. Les lampadaires éclairent le bout de route avec leur  lumière jaune & moi avec mes ongles cassés et mes mains froides j’arrive sur le goudron et je m’allonge par terre. Pour regarder les néons blancs d’en dessous, comme de grands soleils, ce soleil que je ne vois pas souvent, par manque de motivation.

J’ai l’impression de me dissoudre entre les grains du macadam, en décomposition totale, morcellement intégral. Si une moissonneuse batteuse me passait sur le corps, je serai là, insensible, éparpillée un peu partout en petits grains entre les petites failles du bitume, à rire doucement.


Et puis quelqu’un est arrivé, je vois une ombre ramper contre le sol. L’ombre était loin, et puis elle s’est immobilisée. Je lève la tête puis je vois un grand personnage, avec les mains dans les poches, parfaitement statique devant un lampadaire, la tête levée puis qui regardait le néon. Il me tourne le dos, et puis il se remet en marche après. Alors je reste allongée là et je m’endors quelques minutes. Aucune moissonneuse batteuse ne passe. J’aime les endroits déserts. Il y a la brume qui me piétine, elle se la ramène toutes les nuits avec ses particules d’eau en suspension. Je m’entraîne à les gober. C’est un exercice hardi.


Je finis par rentrer dans un bar puis je vole une bouteille de whisky. Je passe inaperçue, où que j’aille et un jour j’en mourrai peut-être qui sait.


Pourtant, je suis grande, quand je me regarde debout dans la glace j’ai l’air bien mince avec mes yeux sous le front, mes petits sourcils qui n’ont jamais l’air surpris, mes guibolles de garçon manqué puis mes cheveux électriques et négligés on dirait un morveux ouais un petit morveux de ceux là qu’on encore des rêves plein les yeux.

 

Je suis de nouveau dans la rue avec ma bouteille, je marche en la regardant dans les yeux dans le goulot liquide translucide. Je n’ai bu du whisky qu’une fois dans ma vie. Une seule fois. J’avais quatre ans. Depuis ce jour je n’ai pratiquement pas bu d’alcool je ne sais pas pourquoi surement que je n'y ai pas pensé.Maintenant à y penser je trouve ça relativement sale. Propre à l'homme tout du moins. L'homme qui boit, qui boit parce qu'il est seul ou parce qu'il est avec des amis. Le comble du désuet. Boire & laisser faire le reste.  Faire dépendre un état physique et moral d’une substance.  Je ne me fais régir par aucune substance moi, mais dans les mains petite bouteille de whisky froide et vierge comme un cercueil vide, bah.

Mes yeux guident mes pas le long des rues et puis voilà que j’atterris toujours au même endroit devant la mer, sur la plate bande de bitume qui précède l’avancée de sable. Je voudrais un cerveau en béton armé et des doigts d’hippocampe. 


Là planté sous un réverbère je retrouve le grand garçon, toujours les mains dans les poches et les cheveux pareils qu’avant, les yeux je ne sais pas je n’avais pas trop regardé. Lui non plus ne regarde pas trop il ne m’a même pas vue, voyez comme je suis transparente. 


Je dépose la bouteille doucement sur le trottoir sans faire de petit cling !, je me glisse dans son dos, et j’enroule mes mains autour de son cou, en serrant fort fort, puis je murmure à son oreille, Vendetta ! Vendetta… Juste pour rire. Il ne rit pas, il ne frémit même pas, il se retourne brusquement et me frappe au visage, et moi je vole en éclats sur le sol. Quand il voit que je suis une demoiselle, il doit vraiment se poser des questions. Il s’en pose plus encore quand je me relève en riant et que je saute sur lui, un bras autour de son cou, les jambes repliées sur sa veste sombre, et que je commence à enfoncer mes doigts derrière son œil, de plus en plus fort. Mes jambes bloquent ses bras. Il se débat un peu puis je lâche prise, je glisse par terre.


Les gens ne s’attendent pas à ce qu’on s’attaque à leurs yeux. Moi, c’est ce que je fais, parce que ç’est universellement la chose la plus fragile, et puis ça décontenance. Lui, il n’est pas décontenancé, il se baisse, attrape mon bras, le soulève. Je pends lamentablement au bout de mon bras. Ca me fait rire mais je m’abstiens. Je le regarde dans ses yeux, ces yeux ternes et maussades et puis je fais remonter de la salive et je crache par terre, sans le quitter des yeux. Il me lâche et je m’écrase dans le caniveau et dans ma salive.


Je lui dis quelque chose parce qu’il faut bien. Ce que je lui ai dit, je ne le répèterais pas parce que hors contexte, ça sonnerait faux. Mais il m’a regardé et il a ri. Haha, oui, il a ri et pas de n’importe quel rire. Vous savez, celui qui part directement, sans crescendo, qui éclate précipitamment, bref, rauque. Sa bouche s’est tordue en une grande ride. Certains garçons rigolent avec cette intonation. Les filles, elles, jamais, j'ai remarqué.

Il me relève, je montre les dents.

-Tu te crois la plus forte, dit il.

-Et toi ?

-Je crois que j’aurais pu t’écraser d’un coup de talon.

-Je suis plus solide que vous tous.

Je marche jusqu’à ma bouteille posée sur le sol, je la ramasse. Il a remis ses grandes mains dans les poches de sa veste sombre, il sourit d’un seul côté de la lèvre en suivant mes mouvements des yeux. Je m’assois sur le trottoir, je dévisse le bouchon et je respire l’odeur de l’alcool.

- Tu n’as pas les yeux d’une fille solide les poings encore moins. Tu es blême tu ressembles à un mur.

Je ferme les yeux. La lueur qui perce mes paupières a s’est affaiblie: le grand gars s'avance vers moi. Son ombre recouvre mon visage.

-Tu as bu ?

-Non.

-C’est bien ce que je me disais. Tu va aller t’asseoir sur la plage et boire ton whisky toute seule, et tu lanceras des cailloux dans l’eau en parlant anglais tout bas.

J’ouvre les yeux. Le gars a une petite cicatrice verticale du bas de son front jusqu’à la joue droite, qui recouvre son œil. Une blessure de méchant.

- Oh non mais toi, toi tu marchera sur tes pieds longtemps encore, tu parleras aux réverbères puis au milieu de la nuit tu t’arrêtera, et tu te rendras compte que tu t’es perdu.

Je bois une gorgée de whisky. Haut le cœur. Il ricane:

-C’est fort, hein.

-Oui.

-Eh bien, bonne nuit.


Je le retiens par la manche et je pose par terre la bouteille pleine. Je montre les dents. Le silence nous imbibe comme de l'ether sa pomme d’Adam saillante va et vient sur son grand cou lorsqu'il ravale sa salive. Je dis tout doucement :

-Tu veux qu’on se batte, encore un coup ?

-Okay.


Sur ce d'un bond je me lève la bouteille à la main et je l’explose contre le lampadaire des gouttes d’alcool et des éclats de verre ricochent sur sa veste le reste finit en flaque immonde et informe absorbée rapidement par le sol. Le verre parsème le trottoir, il me reste le goulot dans la main, tranchant, c’est théâtral et pas forcément très malin mais moi je m’amuse je m’amuse. Je plisse les yeux enfin c’est comme ça que je ris quand je ne veux pas trop le faire savoir.


Le grand ne fait aucun geste, n’esquisse même pas un mouvement de surprise. Il me contemple avec un air diverti. Nous semblons nous amuser beaucoup tous les deux.

-C’était pas nécessaire cette petite mise en scène, petite fille, dit il en regardant ailleurs d'un air indifférent.

- Ca ne te tente jamais toi ?

Je m’approche de lui avec le goulot brisé de la main gauche.

-Etre un vrai truand.

Je le prends dans mes bras.

-Comme dans les films des parents, je dis, quand ils étaient encore présents, avec le flingue caché dans le pantalon et toujours toujours esquiver les balles au bon moment…Non plutôt, ne pas les esquiver jamais parce que c’est comme ça il faut s’y faire les méchants sont toujours presque morts à la fin, ou bien en taule ou bien mal barrés. Se les prendre à l’épaule ou dans le genou, il parait que ça fait très mal aussi… C’est nous les plus courageux.

Le grand, en m’écoutant, prend ma main droite, la porte à sa bouche et l’embrasse. Et soudain, la tord violemment, mon bras craque et plie, je chois, mes membres se tordent contre le sol.

Du temps & des petits coups de poignard dans le dos avant de devenir une petite frappe.

Je me dresse sur mes genoux, tends le bras, entaille la main qui me retenait le poignet. Il me lâche, recule. Il perd un instant son air amusé, je sens de la violence remonter le long de sa colonne vertébrale et secouer son front. Je lâche le débris de bouteille, me relève en boitant. La douleur est là, dans ma jambe gauche, bien que je ne la sente pas, et elle m’empêche de marcher.

Pour éviter qu’il ne se jette le premier sur moi, je rue dans ses jambes et le fais basculer en arrière il m’attrape le cou et serre de sa main valide, je retiens ma respiration, & là, il peut toujours chercher à m’avoir haha ! Il étouffe un grognement, d’un rapide mouvement me renverse et se relève. Et merde.

-Tu veux en finir là ?

Je ne réponds pas, j’ai toujours les poumons bloqués, les battements de mon cœur commencent à ralentir. Il me secoue, ma tête cogne contre le rebord du trottoir parsemé de tessons de bouteille puant le whisky. Certains morceaux de verre s’incrustent peu profondément dans ma peau. Il cède, me lâche. Il a senti mon pouls faible en enserrant mon cou.

Je respire.

Il s’assoit un peu plus loin sur le trottoir, en serrant sa main ensanglantée dans sa veste grise. Je gratte mon crâne pour en désincruster les morceaux de verre. Ca picote. Je me relève et m’assois à ses côtés.

-Tu n’es pas plus solide que nous tous.

-Bien sur que si.

-Tu es constituée comme n’importe qui, tu es sortie par l’utérus de ta mère, tu te bats comme une gamine énervée et irréfléchie. Un jour, les vers te mangeront.

-Je parie que t’es communiste, dis-je en ricanant. Dis que c'est faux! Haha.

-C’est faux.

-Tu mens… Ne nie pas, regarde comme ils sont ridicules, tous, avec leurs télé-réalités, leurs hit-parades, leur acné juvénile jusqu’à 40 piges et puis les rides après… Non non moi je ne trempe pas là dedans.

Le grand me regarde surpris il hausse un sourcil il serre sa main contre le tissus de son pantalon.

-Ca n’a rien à voir avec ce dont on parlait.

-Peut-être pas & alors ?

Je le prends par la main puis je l’emmène sur la digue, je cours, en clopinant, lui me suit. Je prends garde à ne pas trop serrer sa main, le sang a déjà coulé sur la mienne. Il rit, nerveusement, de ce petit rire bref chatoyant. Et puis je grimpe sur le ponton en le traînant. Je vais jusqu’au bout, jusqu’au bout. Autour, il n'y a plus grand chose que le noir, profond, sombre, on ne voyait plus l’est, l’ouest, mais juste quelques lampadaires sur la digue éclairée, derrière nous. Et là, au bout de l’avancée, je le pousse dans l’eau.

Il crie, de surprise sûrement. Et moi je me laisse tomber aussi. Je fais un plat, je ris encore, et sous l’eau, les bulles. Il fait noir. Là, sous l'eau dans ce grand flou artistique salé qui pique les yeux, mes mouvements lents qui s’adonnent à l'extase sub-limen, l'obscurité sous l'air. Je me dissous dans cette infinité grisante, ce néant amniotique, fusion avec la nappe liquide. Coma d'abstraction. Dans mon exaltation, je sens sa jambe qui bat, il est remonté à la surface. Je nage jusqu’à lui, je l’attrape par sa veste et je le tire vers le bas. J'ai beaucoup de force pour mon petit corps frèle, ça remonte à quand je me déplaçais sur les mains. Nos gestes sont lents. Nous remontons peu à peu.

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Il émerge avant moi, j’entends les remous de l’eau et je perçois, sans les comprendre, quelques mots qu'il prononce. Ses bras me cherchent aveuglément sous l’eau mais je me dégage et remonte un peu plus loin. Et puis soudain la tête qui rugit hors du silence: Être une masse, une multitude de sons, être une odeur, être un cerveau. Être concret et bidon. Je ne suis pas même essoufflée. Il halète, remue des bras pour se maintenir à la surface.


-Tu es totalement décérébrée.

Je ris. Je nage vers la côte, il me suit, me devance.

Arrivée sur la berge,  je m'allonge sur le ventre, dans l'écume. Je l'entend derrière qui s'ébroue, qui remue, dans le sable. Moi je respire de nouveau, mon souffle fait éclore de fines petites bulles dans le sable puis elles crépitent et fusent, disparaissent. Je pourrais rester longtemps ainsi à contempler ce petit ballet, comme je reste des heures devant les fourmilières à regarder ces petits humains flétris trimballer des choses sur leur dos, jusqu'à ce que j'en sois couverte, que j'aie des fourmis dans la bouche dans le nez et entre les doigts.

Je ne perçois plus son souffle derrière moi, ni le crissement du sable mouillé sous ses mouvement sourds. Il est parti. Un pion de plus, un personnage que je ne reverrai jamais, un rôle, une apparition unique et furtive dans le coin d'une nuit paumée. Ce grand là m'avait surprise, à quelques moments. Un rôle précieux en somme, moins insignifiant que ces autres allégories insipides, mais tout aussi absurde. C'est comme ça.

Je rentre finalement chez moi mais je reste sur la pas de la porte parce que je regarde un petit insecte noir. Un petit scarabée. Je le ramasse. Je monte chez moi et je prends une boite d'allumettes, je ressors, le scarabée est toujours lové au même endroit dans la grande ligne de ma main. Je le dépose par terre petit compagnon. Puis, comme ça, assise sur le trottoir je joue à ce jeu que j'avais inventé il ya longtemps, pincer cinq allumettes entre mes lèvres & passer d'un coup sec mes ongles repliés sur les embouts qui s'embrasent aussitôt. La tête en arrière, je laisse couler le feu et quand ça arrive trop près de mes lèvres, je souffle, le feu fuit et les allumettes le suivent vont rejoindre les autres par terre d'un coup de langue. Je joue à ça des heures durant.

-Ils apellent ça la lâcheté. Moi j'apelle ça le discernement.

-Tu parles ! dit le scarabée.

-Ta gueule la mouche.

Je construis machinalement une petite muraille avec des cadavres d'allumettes et je mets le scarabée dedans.

-Petite tu préférais être le scélérat que la princesse hein dit-il.

-Oui.

-& maintenant & maintenant ?

J'envoie balader la bestiole avec sa muraille en allumettes. Je me lève. A ce moment là, le grand paraît au coin de la rue, de sa démarche veule, les mains dans les poches de son pantalon noir. Je me retourne. Je  l'entends arriver, j'écoute le bruit de sa démarche. Il est bientôt tout près, derrière moi, et soudain il éclate de rire comme la première fois. Je me lève d’un bond et il recule d'un pas. Paniqué.

-Je ne cherche pas à te tuer, dis-je dans un sarcasme.

-Pour une fois.

-Si j'avais voulu j'y serais parvenue.

-Tu crois ça?

-Qu'est-ce que tu viens faire là?

-Rien de spécial, tu vois, marcher, attendre que la douleur de l'eau de mer sur ma plaie se soit estompée, te recroiser peut-être.

-Tu n'a rien d'autre à foutre?

-Non.

-Moi je n'aime pas revoir les gens. C'est la troisième fois que je te revois cette nuit. Mauvais présage.

-Léo, dit-il en me tendant la main.

Je grogne, je n’aime pas les poignées de mains je préfère les poings serrés, contre les dents.

-Lady Nebula Elly Ursule dis-je en regardant un lampadaire très très loin.

-Nebula.

Je soupire.

-Pourquoi as tu l’air si irréfléchie ? Dit-il.

Je ne réponds pas.

-Tu sais quoi? fait-il en sortant de sa poche un fume-cigarette, un paquet & un briquet. Les gens qui disent que l'on peut se comprendre sans paroles sont les plus grands chiens du monde, c'est juste une pratique pour les feignasses et les analphabètes.

-Ma voix est tellement rauque que j’ai peur de la perdre un jour.

Il est toujours debout sur ses grands pieds de géant, me regarde d'en haut de son perchoir avec celle belle face émaciée, ce regard  creux d'assassin. Il sourit ou bien soupire, qu'importe. Il emboute sa cigarette & l’allume.


Moi je cours. Je suis déjà loin. Il y a un camion là sur la digue. Je pile. Derrière le camion il y a la mer. Je contourne. Il faut que je bouge, que je courre encore, plus loin, jusqu'à ce que néant s'en suive. C'est toujours comme ça avec moi. Je n'ai aucune nuance, je suis toujours dans cette apathie gorgée d'une colère, colère venue d'on ne sait où ni pourquoi elle se la ramène avec sa face insolente... La colère, la musique et l'eau, les trois choses qui me font frémir un jour ma personne qui explosera d'un grand flot exacerbé sur tous les murs de la ville. Je sais exactement ce que je fais et pourquoi je le fais. Je ralentis je marche sur la digue avec mes pieds tordus, indolores."

Photos: Sirxlem & ?   

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